Georges Ibrahim FUMEY, le parcours du combattant

Qu’est-ce qui vous a poussé à pratiquer ce sport à haut-niveau ?

Un ami à moi m’a dit « toi tu es un serpent, j’ai un sport pour toi ». Durant une période compliquée, cette découverte a été une grande bulle d’air et je n’ai jamais arrêté. J’ai continué, j’allais dans tous les clubs pour me tester, mais je n’ai jamais trouvé un club aussi bien qu’à Bourg-La-Reine. La GF team, dont fait parti Bourg-la-Reine, possède une autre antenne à Boulogne.

Boulogne était, à l’époque, d'un niveau beaucoup plus élevé que Bourg-La-Reine. C’est pour cela que j’ai très vite progressé, je faisais partie d’une équipe de compétiteurs qui étaient tout le temps à fond. Ça m’a permis de me dépasser.

Boulogne et Bourg-La-Reine sont deux antennes de la GF Team qui est affiliée à la Zteam. La GFteam a plusieurs antennes partout dans le monde (Allemagne, Angleterre, Brésil, États-Unis etc.). En Europe, la filiale Zteam est la meilleure en termes de compétiteurs et de résultats.


Avez-vous un modèle ou une personne qui vous inspire pour bâtir votre carrière sportive ?

Je ne connaissais personne en arrivant à Bourg-La-Reine. Le premier à m’avoir pris sous son aile fût mon entraîneur, Mathias Jardin. C’est quelqu’un qui a apporté énormément au Jiu Jitsu Brésilien en France. C’est le premier à avoir vu un potentiel en moi. On concourait dans la même catégorie de poids, j’ai toujours suivi ses pas. Il y avait aussi Càssio Silva, il gagnait facilement car j’étais ceinture blanche, lui ceinture violette mais quand on combattait c’était la guerre tout le temps. Il m’a permis d’évoluer énormément à travers cette rivalité. Une rivalité inégale, mais je me battais à chaque fois avec la même intensité et volonté de progresser. Aujourd’hui il a monté son école de JJB à Paris et ses élèves sont souvent derrière moi en compétition ce qui me fait extrêmement plaisir, mais ce qui me touche encore plus c’est que Càssio n’était pas du genre à montrer beaucoup de soutien, mais aujourd’hui ses élèves me révèlent qu’il leurs parlait de moi, en disant que j’étais une ceinture blanche qui lui a donné « du fil à retordre ». Et ça, pour moi, c’est une fierté. C’est un message que j’entends des années après, alors que j’avais gardé une image très fermée de lui.

Aujourd’hui, c’est Kenji Matsuchima-Sette qui a repris le flambeau de Mathias Jardin en tant qu’entraîneur et depuis que Kenji est arrivé on ne s’est pas quitté. Lui et moi on est tout le temps ensemble, même pendant le COVID, il venait dans le dojo que j’ai installé chez moi, comme un coach particulier, pendant un an et demi nous nous sommes entraînés ensemble. Alors que je étais ceinture bleu nous sommes allés à Los Angeles pour les championnats du Monde, je perds en quart de finale, ce qui était vraiment énorme pour moi. Je pratiquais le Jiujitsu brésilien depuis deux ans et demi seulement, c’était effarant, je n’en revenais pas. A nouveau aux championnats d’Europe je partais avec lui, encore un quart de finale, encore une grande victoire pour moi et il était là, il participait aux compétitions mais il était aussi là pour moi. Aujourd’hui encore, on ne se lâche plus, on va manger ensemble, on s’accompagne sur les compétitions. C’est devenu une amitié importante pour moi.


Combien de temps consacrez-vous à votre passion par semaine ?

Je m’entraîne six fois par semaine.

Comment gérez-vous le stress ou la montée d’adrénaline les grands jours ?

Mis à part aux derniers championnats d’Europe où psychologiquement j’étais bien, toutes les autres fois je me suis demandé « qu’est-ce que tu fais là ?! ». Je ressens toujours énormément de stress avant le combat mais sur le tatami quand l’arbitre annonce « com-Ba-tchee », ça y est je suis dedans. A partir du moment où je suis lancé et bien installé, je me détends. Mais le premier combat est vraiment le plus difficile. Ensuite, je prends en confiance et ça enchaîne.


Le fait d’être face à un public impacte-t-il votre stress ?

Pour ces championnats d’Europe, j’étais à la maison, à l’institut du Judo. J’y suis déjà allé plusieurs fois pour des compétitions notamment. J’ai l’habitude du lieu donc cela ne m’a pas impacté. Le public présent était en réalité des athlètes dont la moitié des Français sont des gens que je connais. Je me sentais vraiment à la maison.

Ce n’était pas comme aux Worlds où l’ambiance est très différente. Toutes les équipes sont accompagnées et organisées en tribunes. Une tribune va provoquer la tribune adverse, ils ont leurs chants, des olas. Le Hall Pyramide de Los Angeles est vraiment très impressionnant. Je ne suis pas facilement impressionné par ce genre d’atmosphère, je suis souvent allé dans des stades pour voir même des grands matchs… mais là, j’étais vraiment stupéfait.


Quelles sont les capacités requises pour être un bon combattant Jujitsuka ?

Il faut avoir du cardio, la force de combattre. Au début, ce n’est pas simple, on subit plus que l’on n’inflige. J’ai mis sur Google un avis sur le BLR JJB indiquant que « si vous êtes fragile, ne venez pas ! », (Ibrahim rigole). C’est un club de compétiteurs, certes, mais finalement ce sont ceux qui ne font pas de compétitions qui sont les meilleurs parce qu’ils acceptent de subir et ils renvoient avec une grosse intensité. C’est, pour moi, souvent plus dur à l’entraînement qu’en compétition. Les opposants sont plus agressifs que moi, surtout depuis la médaille, il y a une règle qui s’est installée dans le dojo, qui dit que « qui me bat, est champion d’Europe », mon titre est en jeu à chaque combat. (Il rigole à nouveau). Mais c’est vrai que cette médaille a déclenché quelque chose en moi, quand je combats il ne faut pas que je perde. Si je perds, je perds ma médaille. Mais grâce à elle je suis en pleine confiance de mon jeu. Intouchable.

Pour revenir aux capacités requises, si on vient avec des problèmes personnels on devient très fort, très vite parce que c'est un défouloir. Julio César qui est une figure très importante du JJB en France disait que c’est « un sport pour les dépressifs ». Mais en réalité même pour les gens timides, Julio est quelqu’un de très timide par exemple, c’est un sport qui permet de s’exprimer. On se fait mal, on fait mal mais on se libère.


Quel est votre plus beau souvenir sportif cette saison ?


Ma victoire aux championnats d’Europe et celle de mon professeur Kenji. Comme je lui ai dit « on va faire un check médaille ». Partager ensemble ces victoires est formidable car on revient tous les deux de loin. Lui n’était vraiment pas au top de sa forme pour ces championnats, blessé au dos, moi j’enchaînais des défaites et des blessures parfois assez importantes. Aux derniers championnats de France, je fais troisième dans ma catégorie à cause d’une erreur d’arbitrage. La frustration était forte car je savais que je pouvais revenir avec le titre à la maison. Et c’est toutes ces choses-là qui ont rendu nos victoires encore plus fortes. Comme l’a dit Kenji, «c’est mérité ». Pour moi le cardio n’allait plus du tout mais Kenji m’a poussé et encore poussé à le travailler. Partager cette victoire avec mon prof qui est aussi un ami en décuple l’émotion . Cette victoire n’est pas un accomplissement pour moi, elle me donne envie d’aller chercher plus loin encore sur les Worlds Adults. C’est un titre encore plus prestigieux. Faire face à des Jujitsukas qui s’entraînent plusieurs fois par jour avec des coachs nutritionnistes, des préparateurs physiques et tout un STAFF derrière eux, leurs donnent un gros avantage alors que moi je dois composer avec mon travail, mon fils, etc. Mais réussir face à des gens comme ça, c’est ma vraie victoire. Face à eux aux championnats d’Europe je ne gagne pas aux points, je parviens à finaliser tout le monde. Et cela me rend très fier. Ce n’est pas donné à tout le monde.


Que vous à apporté le BLR Jiu Jitsu ?

Bourg-La-Reine c’est une famille, chacun s’entraide de la ceinture blanche à la ceinture noire on est tous égaux. La ceinture noire impose certes un respect automatique, mais il n’y a pas de négligence des autres ceintures. On se tire tous ensemble vers le haut, en compétition ou au club. Les combattants les moins expérimentés me font souvent plus peur à l’entraînement. Et c’est ça qui fait la force du club, car quand on arrive en compétition, on est prêt à affronter nos adversaires. Il y a deux jeunes (ceinture bleue) avec qui je combats souvent, les deux, je n’en peux plus, ils viennent, ils envoient plus rapidement que moi, ils ont plus de cardio. Je finis par me demander pourquoi je m’entraîne, qu’est-ce que je leur ai fait de mal ?! Je suis pourtant gentil avec eux. On sait pourtant que cela nous pousse au-delà de nous-mêmes. C’est grâce à cela que notre club est si compétitif. Et cette culture-là, nous vient de Mathias Jardin, qui nous a inculqué cette philosophie. Tu ne lâches rien, quand tu perds un point, tu dois le reprendre derrière. Ce n’est même pas de le reprendre, c’est surtout de ne pas l’accepter, l'adversaire ne doit pas pouvoir stabiliser son point. Il faut tout le temps envoyer, envoyer, envoyer.

Mais ce sont des choses que l’on ressent aussi en compétition, où il y a vraiment une rage qui s’exprime lors du combat, mais à la fin il y a un énorme respect qui découle de cela. On se serre la main, on se remercie. Il m’est arrivé de finir dans les bras de mon adversaire, l’intensité du combat est telle que l’on en ressort heureux en cas de victoire, mais aussi en cas de défaite car on a eu cette sensation d’avoir tout donné. Même après le combat, on se recroise, on échange sur notre combat, on apprend de l’autre, il y a énormément de respect.


Le JJB devient une affaire de famille ?

Mon fils a commencé le Jiu Jitsu Brésilien à l’âge de 3 ans avec moi. Je donnais des cours bénévolement pour les enfants à ce moment-là. Il a fait ses premiers championnats de France, dont il ressort premier, il a exulté, crié. Et cette année, il les a refait, il n’a pas gagné mais il était tout aussi heureux de participer. Et là de voir son papa champion d’Europe, ça lui donne encore plus envie de combattre et de continuer. Il est très fier de ce qu’il fait et de ma médaille qu'il veut emmener partout. A seulement 8 ans, ce plaisir et cette joie sur le tatami ont attiré le regard des photographes qui m’ont dit que c’était tellement expressif avec lui qu’ils ne pouvaient pas s’empêcher de le prendre en photo. Résultat il est présent sur presque toutes les photos de la compétition. Cet engouement autour de cette passion partagée avec son père, c’est merveilleux.


Avez-vous un message à faire passer ?

Ne jamais lâcher et ne jamais perdre de vue ses objectifs. Même si l’on trébuche, toujours se relever et continuer. Ce n’est jamais perdu. J’en suis la preuve, Kenji en est la preuve, Alexandre Louyrette champion d’Europe aussi en est la preuve, on a beaucoup perdu mais on s’est relevé et aujourd’hui on revient avec des titres.

Interview réalisé par Corentin GOMBERT, chargé multimédia de l'ASBR omnisport le 6 février 2023.

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